Le maïs en Alsace, ou le business de « l’or jaune »

Une économie du maïs s’est constituée en Alsace depuis les années 50, si bien que la production de cette plante couvre 40% de la surface agricole de la région. Elle sert principalement à répondre à une demande de l’industrie qui nécessite l’amidon présent dans le maïs pour élaborer des produits transformés par exemple. Ce modèle agricole est remis en question par des associations telles qu’Alsace Nature. Elles dénoncent le fait que la production agricole, maintenant soumise aux règles de l’OMC (Organisation mondiale du commerce), « est devenue une marchandise qui sert à la génération de profit, avec des conséquences néfastes sur la biodiversité et sur les agriculteurs. »

Dans la plaine d’Alsace, difficile de louper les 120 000 hectares de culture de maïs qui tapissent le paysage. Pourtant originaire du Mexique, cette plante recouvre 40% de la surface agricole dans la région, contre 9% en moyenne en France. 4 000 exploitants cultivent « l’or jaune alsacien » comme l’a surnommé la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) dans un dossier paru en 2010, qui explique que le maïs « représente une part très importante de l’économie régionale. »

Mais à quoi sert tout ce maïs ? L’espèce cultivée en immense majorité en Alsace est le maïs grain. Il n’est pas destiné à être consommé directement. D’après la chambre d’agriculture, 75% de la production est utilisée par l’industrie. Tereos Syral à Marckolsheim et Roquette à Beinheim pratiquent l’amidonnerie par exemple. Ces géants de l’agroalimentaire extraient l’amidon qui compose le grain de maïs à 70%. De nombreux débouchés sont possibles ensuite, comme l’élaboration de bioplastique ou encore de sirop de glucose qui entre dans la fabrication de produits transformés. Le reste du maïs alsacien sert à nourrir du bétail, principalement des vaches laitières d’après la chambre d’agriculture.

Un modèle agricole capitaliste

Depuis les années 50-60, c’est toute une économie du maïs qui s’est mise en place en Alsace. L’apparition de semences hybrides, bien adaptées au climat alsacien a accéléré le processus. La nappe phréatique permet un bon approvisionnement de la culture en eau. Depuis une quinzaine d’années, le rendement du maïs en Alsace est le meilleur de France, avec une moyenne de 10,5 tonnes par hectare, contre 8 tonnes par hectare en général.

Un réseau de collecte et de vente de maïs s’est développé pour permettre l’acheminement de la production du maïs vers ses débouchés. Des coopératives comme le Comptoir Agricole ou CAC 68 jouent le rôle d’intermédiaire en collectant les grains et en les revendant aux entreprises qui le transforme. Ces coopératives réalisent des chiffres d’affaires de dizaines de millions d’euros tous les ans grâce à cette activité.

Le système agricole alsacien est hérité notamment de la transformation de la vision de la production. D’après Maurice Wintz, sociologue rural à l’Université de Strasbourg, « c’est à partir du 18ème siècle que l’on a vu des productions agricoles, celles des colonies, entrer sur le marché. En France, l’agriculture s’est mise à répondre aux besoins de l’industrie dans les années 50-60. Depuis 1995, date de l’entrée en vigueur du Cycle d’Uruguay, les marchandises agricoles sont soumises aux règles de l’OMC. L’agriculture ne sert plus à nourrir la population, mais elle constitue une marchandise, qui répond à une demande industrielle, dans une vision de génération de profit. Elle n’est pas réfléchie pour le bien commun, mais elle répond au dogme du capitalisme. »

Des impacts sur la biodiversité

Anne Vonesch, vice-présidente d’Alsace Nature, interroge cette vision de l’agriculture : « Toute cette surface utilisée pour faire des composés qui servent à l’industrie comme du sirop de glucose, c’est du gâchis. Cela représente une vision de l’approvisionnement alimentaire grâce à des échanges à l’échelle de la planète entière, à l’antithèse des discours sur les circuits courts. C’est un non sens écologique. »

En 2019, la chambre d’agriculture Alsace a créé une commission communication chargée de redorer l’image du maïs. « Cette céréale est peu gourmande en pesticides par rapport à d’autres cultures comme la vigne par exemple. Elle ne consomme pas énormément d’eau. » Le maïs nécessite néanmoins des herbicides comme le S-métolachlore, toxique pour de nombreuses espèces végétales. « La molécule mère et ses métabolites sont nettement retrouvés dans les eaux » de la nappe phréatique d’après une étude de l’observatoire de la nappe d’Alsace (APRONA).

Le maïs a surtout des impacts sur la nature à cause de la surface qu’il occupe, comme l’explique Anne Vonesch : « Peu d’espèces peuvent habiter dans les champs de maïs. Ils constituent littéralement un désert biologique en occupant de grands territoires et en déconnectant les écosystèmes naturels entre eux. Il est nécessaire de repenser l’agriculture sur le principe d’agroécologie, avec des bandes enherbées, des haies, des arbres et des zones humides, pour créer des environnements où une faune diversifiée puisse exister. » La destruction des habitats naturels, rognés par l’agriculture, constitue l’un des premiers facteurs de l’érosion de la biodiversité en Europe.

Une autre agriculture est possible

Un autre problème posé par la culture du maïs est l’appauvrissement du sol. Celui-ci est récolté tard dans l’année, à l’automne en général. Le sol reste nu pendant l’hiver, jusqu’à la nouvelle pousse de maïs. Ce défaut de couverture du sol induit une absence de matière organique en décomposition. La terre ne joue plus son rôle de réserve de nutriments. Ainsi, par endroits en Alsace, l’utilisation d’engrais devient indispensable, dans un sol pourtant historiquement reconnu pour sa richesse.

Pour Maurice Wintz, une autre agriculture est possible, et même indispensable :

« Techniquement, l’agroécologie et l’agroforesterie ont déjà fait leurs preuves. Une relocalisation de la production et de la consommation est aussi nécessaire, potentiellement par une forme de protectionnisme. Cela pourrait se faire à l’échelle de l’Europe. L’agriculture en France concerne 50% du territoire, elle est subventionnée par de l’argent public, elle détermine l’alimentation de tout le monde et elle a un impact immense sur la nature et la santé publique. Qui n’est pas pour une agriculture de proximité, écologique et sociale, qui fasse vivre les agriculteurs ? C’est une affaire démocratique, un sujet de société fondamental. De simples choix politiques pourraient nous permettre d’avoir une agriculture écologique et permettrait aux agriculteurs de vivre en cassant la concurrence qui leur impose de vendre leur production à des prix dérisoires. »